Le comité territorial Isère de la FFME tient à s’exprimer à la suite du courrier adressé par Pierre You, Président de la FFME, concernant la dénonciation des « anciennes conventions » de gestion des sites d’escalade et de l’embrasement qu’il a suscité sur les réseaux sociaux et autres forums où de nombreuses personnes ont émis des avis tranchés, des jugements sévères, voire des procès d’intention sans vraiment connaître le dossier.

Le contexte :

Cette décision de remplacer les anciennes conventions a été prise suite à l’accident de Vingrau en 2010 et ne date donc pas d’aujourd’hui.

Elle vient d’être accélérée du fait de l’assureur qui devant les dédommagements à débourser bien supérieurs aux cotisations encaissées lance un ultimatum à la FFME en lui laissant 3 choix :

  1. chercher un autre assureur
  2. garder les anciennes conventions avec un surcout de 10€ par licencié pour cette année
  3. dénoncer ces anciennes conventions et conserver la couverture pour les nouveaux contrats d’entretien passés par la FFME, moyennant un surcout de 3€ par licenciés

Le comité directeur de la fédération a choisi la 3ème option, ce qui semblait la plus raisonnable car la seconde aurait occasionné à chaque nouveau préjudice une augmentation identique voire supérieure, ce qui n’aurait pas été supportable à très moyen terme pour les adhérents qui auraient fini par fuir. Toutefois, ce choix très important aurait du faire l’objet d’un débat et d’un vote encore pour cette année lors de l’assemblée générale plutôt qu’être une décision unilatérale décidée dans le contexte très particulier du confinement.

Quant à la première solution, vu le passif « recettes-dépenses » actuel, elle aurait surement été bien plus défavorable pour un nouveau contrat.

Qui sommes nous :

Il est important de présenter Le CT 38 de la FFME pour ne pas laisser de doute sur notre intérêt pour les sites naturels d’escalade. Le CT de l’Isère fait partie des comités dont l’essentiel de leur activité est consacré à la gestion des sites naturels d’escalade (d’ailleurs ça nous est parfois reproché).

Nous avons un salarié dédié à cette tâche qui regroupe à la fois des actions sur le terrain, un très grand suivi administratif, règlementaire et un relationnel étroit avec les collectivités locales, les associations environnementales, les administrations des parcs et enfin tous les équipeurs bénévoles et clubs qui agissent sur le terrain dans ce domaine.

La gestion des sites naturels d’escalade représente également une part centrale dans le budget du comité.

Le collectif du comité est composé également de grimpeurs et ouvreurs qui ont consacré une très grande énergie à équiper les sites, favoriser le développement et la préservation de l’escalade en site naturel.

Nous ne pouvons donc pas être soupçonnés de nous désintéresser de ce sujet et de ne penser qu’à l’olympisme de l’escalade et la pratique en SAE.

Le CT 38 n’a jamais hésité à tenir un discours discordant face aux élus nationaux et à apporter sa contribution dans la réflexion générale autour de cette problématique des SNE.

Alors qu’en est-il vraiment ?

Les anciennes conventions qui ont permis en leur temps de développer l’escalade en site naturel ont démontré leur inadaptation actuelle face à la judiciarisation de l’accidentologie et la volonté affirmée de dédommager largement la victime quand la structure mise en cause est solvable. Rajouter maintenant de la jurisprudence défavorable qui se développe.

Les anciennes conventions libéraient totalement le propriétaire et attribuaient la garde de la « chose » au gestionnaire du site (la FFME) qui se voyait ainsi soumis à la règle de la Responsabilité sans faute. Le gestionnaire est donc responsable des dommages subis par la victime même si aucune faute n’a été commise, excepté pour les accidents qui résultaient d’une erreur flagrante du pratiquant et encore, la question lors d’un lâcher de corde en moulinette a été posée de savoir si c’était la corde qui était trop courte (faute du pratiquant) ou bien le relais trop haut (défaut d’équipement) !

Ainsi le jugement de Vingrau a condamné en appel la FFME à 1,6millions de dommages et intérêts sans même tenir compte des circonstances de l’accident dans lequel les grimpeurs avaient une responsabilité évidente. Deux autres affaires attendent leur jugement et risquent de mener au même résultat.

La FFME a donc réfléchi depuis quelques années et proposé un autre mode de gestion des SNE : la collectivité (commune, département…) prend ou conserve la garde du site  et signe un contrat d’entretien avec un prestataire pour veiller à sécurisation du l’escalade. En l’occurrence, la FFME peut et veut jouer ce rôle par l’intermédiaire de ses comités territoriaux départementaux qui en ont les moyens et les compétences. Ainsi en cas d’accident, si la victime pense que les causes sont dues à un défaut d’entretien elle pourra mettre en cause la commune qui se tournera vers le prestataire. La faute, la négligence devront être avérées et prouvées sachant que :

  • le milieu naturel conserve par essence des aléas difficilement prévisibles
  • un défaut dans l’obligation de moyens devra être mis en évidence et relié aux causes de l’accident.
  • que l’obligation de résultat n’est pas un postulat au regard de l’incertitude qui caractérise les activités de pleine nature.

On se doute bien qu’il pourra y avoir des batailles en justice derrière les notions de « faute » « d’obligation de moyens » ou de « résultat ». Mais en attendant, finies les condamnations systématiques, rendant déraisonnable et inacceptable cette prise de responsabilité aveugle que représente aujourd’hui la garde d’un site pour la fédération.

Une piste encourageante sur le plan législatif :

Parallèlement un travail au niveau des responsables politiques a été fait pour faire évoluer la loi sur cette notion de « responsabilités sans faute » surtout autour d’activités qui sont qualifiées d’activités à risque et dans lesquelles le milieu, par définition, ne sera jamais complètement sécurisé. D’ailleurs le pratiquant accepte en toute conscience cette part de risque résiduel qu’il doit apprendre à gérer.

Ce lobbying auprès des élus de proximité a porté ses fruits. Il entrait en résonance parfaitement avec les préoccupations des maires dans leur commune, confrontés pour eux même à cette responsabilité sans faute dans maints domaines.

Un premier texte a ainsi été adopté par le sénat et porté à l’assemblée nationale. Il est resté bloqué et globalement enterré en l’état car certains députés de la majorité voyaient trop de désavantage pour les victimes.

Cet automne un second texte retravaillé a été de nouveau voté par les sénateurs et se propose de faire modifier la loi. Il est ou va être déposé devant les députés.

Rappelons la procédure générale d’élaboration d’une loi :

Proposition d’un texte de loi à l’assemblée nationale, inscription au calendrier, débat, vote en première lecture, retour au sénat (débats, amendements et vote), retour en 2ème lecture à l’assemblée nationale (débat amendements et vote), le conseil constitutionnel pourra émettre un avis qui, s’il est défavorable, enterrera le projet en l’état.

Ensuite, il faudra attendre plus ou moins longtemps les décrets d’application sans lesquels la loi reste dans le placard ce qui arrive assez régulièrement.

Si nous devons rester optimistes par rapport à cette évolution favorable de la loi qui répond aux besoins de nombreux élus mais nous comprenons bien que nous ne sommes pas du tout dans la même temporalité que l’ultimatum de l’assureur mais également il y a le risque d’un nouvel accident venant encore plomber un peu plus la situation de la FFME face à son assureur.

Dans le contexte sanitaire et économique actuel, la reprise d’une vie politique normale va se faire doucement et il y aura d’autres priorités sans doute, ce type de loi ne va pas faire l’objet d’une ordonnance et il faudra donc être patient.

La FFME est aujourd’hui accusée de ne pas assumer son rôle et globalement de baisser les bras, voire de se désengager des SNE.

Regardons les choses de plus haut !

Le site d’escalade un bien commun :

La fédération gère directement ou indirectement environ 2500 sites. Elle regroupe 100000 licenciés soit 1/10ème des pratiquants, estimés à plus de 1 million. La FFME ouvre les sites dont elle a la garde à tous ces pratiquants individuels ou institutionnels (scolaires entre autres).

Les sites naturels font donc partie du bien commun et à ce titre, c’est le rôle de la puissance publique que d’assumer la responsabilité juridique et même financière de ces équipements, ce qu’elle fait par ailleurs pour les autres sports. La fédération de natation n’a pas la garde des piscines et ne finance pas ses bassins olympiques !

Ce n’est donc pas la FFME qu’il faudra accabler, lorsqu’un maire refusera de signer un contrat d’entretien sur une falaise communale dont il ne veut pas assurer la gestion car il s’agira d’un choix politique.

Un nouveau modèle de gestion :

D’ailleurs la FFME a proposé en remplacement de ces conventions « toxiques », une gestion différente, qui fonctionne bien et dont les élus sont coutumiers (mise en place d’un contrat d’entretien avec un prestataire pour un équipement qui leur appartient comme un gymnase par exemple).

Il ne faut pas croire que d’assumer un contrat d’entretien est anodin et tout manquement aura les même conséquences juridiques que Vingrau, on ne peut donc pas parler de désengagement de la fédération qui aurait à verser des dédommagements similaires si elle ne faisait pas correctement son travail.

Certaines petites communes qui ont de grands sites, craignent encore trop de responsabilité pour leur taille. Il faudra faire du pédagogique auprès des élus, se faire aider sans doute par une collectivité plus grosse (Comcom, département, région) :

  • tout d’abord, l’augmentation de la cotisation de l’assurance en RC communale pour inclure un site d’escalade est très acceptable même pour une petite commune quant au cout annuel d’un contrat d’entretien par la FFME, il reste faible et souvent inférieur à 1500€, hors équipement initial qui a souvent été réalisé sur des financements associatifs.
  • En second lieu, les départements qui ont une obligation légale d’un PDESI, peuvent également se substituer à la commune et assumer le garde des sites, une communauté de communes peut également le faire. C’est juste une volonté politique ! En Isère le conseil département joue ce rôle pour quelques sites et envisage l’élargissement de cette procédure à d’autres falaises inscrites au PDESI.

Les sites actuellement sous l’ancienne convention :

En Isère encore, nous avons quelques sites sous anciennes conventions, d’autres sont en contrat d’entretien et enfin beaucoup de sites qui sont en accès libres mais n’ont pas de gestionnaire officiel. Dans la loi française, c’est le propriétaire qui en a la garde et est responsable. Peu de risque juridique pour un propriétaire privé qui bien souvent ne sait même pas qu’on grimpe sur son terrain, voire qui ne connait plus trop les limites de sa propriété, d’ailleurs, on pourrait estimer que l’escalade avant d’être interdite aurait du être autorisée pas le propriétaire ce qui n’est pas le cas bien souvent et il n’y a pas de jurisprudence en la matière, aucun propriétaire privé inquiété par un accident. Si un propriétaire installait une buvette au pied de sa falaise alors peut être se mettrait-il en difficulté en cas d’accident. Pour un privé qui voudrait se prémunir de tous risques juridiques potentiels, là encore la commune ou le département pourraient jouer l’interface.

Pour un propriétaire public à lui de décider s’il interdit l’accès, laisse l’accès ou autorise l’escalade officiellement et gère le site.

Les réactions des falaisistes :

Beaucoup de grimpeurs regrettent et critiquent le désengagement de la FFME par rapport à ces conventions toxiques et pensent que la FFME veut abandonner la gestion des sites. Ils attendent beaucoup de la fédération et en même temps, ils ne se licencient pas et ne s’impliquent pas !
– « tu viens demain à la manif pour les sites d’escalade ? »
– « je ne peux pas, il fait beau, je vais grimper»…

Faut-il être catastrophiste ?

Non sans doute, par contre il ne faut pas lâcher prise, rester mobilisé et parler aux politiques ;

Tout d’abord, il faut croire en l’évolution de la loi qui va donner de l’oxygène aux maires et les rendra bien plus réceptifs à la mise en place d’une gestion des sites d’escalade avec contrat d’entretien, mais ça ne sera pas avant 2021 et peut être même pas durant cette mandature. Il faut continuer le lobbying auprès des députés.

Certains sites seront momentanément interdits, d’autres par contre resteront accessibles. Quoiqu’il en soit nous ne les déséquiperons pas car une solution de rechange est proposée pour leur gestion.

Il y a aussi des sites que nous devions abandonner car délaissés, certains d’entre eux ont fait l’objet d’une convention ancienne qui court encore.

La majorité des sites en Isère n’est pas (plus) concernée par ses anciennes conventions.

La nouvelle gestion fait son chemin et ne choque pas les élus lors de la création d’un nouveau site.

L’escalade représente un enjeu socio économique non négligeable surtout au niveau des territoires de montagne et de nombreux élus ne veulent pas la condamner en fermant les sites naturels, d’autant que l’investissement est faible et l’attractivité élevée.

Quelques points tout de même à réfléchir :

L’accès aux sites d’escalade, doit- il être assujetti à :

  • une licence, une assurance, une vignette ? pourquoi 100000 licenciés supporteraient-ils l’accidentologie potentielle de l’ensemble des pratiquants ?
  • La majorité des accidents en falaise résulte d’une faute ou d’une erreur de jugement du pratiquant. Au regard des conséquences de tels drames ne devrait-on pas réfléchir aux compétences minimum nécessaires pour grimper en site naturel (les salles d’escalade privées font signer un doc la dessus aux grimpeurs) ? Pour sa propre sécurité le grimpeur doit être responsabilisé.

En espérant que ces quelques lignes vous auront permis de mieux comprendre la problématique des sites d’escalade et de rester optimistes sur l’avenir de la grimpe en site naturel.

Pour le CT 38 FFME,

Claude Vigier, responsable de la commission « SNE »